Une journée de terrain


En fonction de la disponibilité de chacun, le nombre de prospecteurs variait de un à quatre, selon les jours. Compte-tenu de l’aire à explorer, les temps de pause étaient rares. En général la journée débutait vers 10 heures du matin par un tour complet des remparts, soit près de 2.200 mètres, puis par la recherche dans la zone limitrophe (Z1) et la zone de marais (Z2) jusqu’à la fin de l’après-midi avec une petite heure de pause pour se sustenter. En fin d’après-midi, nous effectuions le deuxième tour des remparts. En début de nuit, après la seconde pause alimentaire, nous entamions un troisième tour, à la lampe, inspectant fente après fente l’ensemble des remparts. Il n’était pas rare de terminer après minuit et certains jours, le retour se faisait entre deux et trois heures du matin.


  Captures



L’étude des serpents et en particulier de leur croissance, implique la capture des individus. Les personnes qui tentent l’expérience se rendent compte que dans bon nombre de situations, cette capture nécessite une certaine dextérité. Dans certaines circonstances, la prise manuelle directe est possible, notamment au pied des remparts. Dans d’autres, en particulier dans les zones herbeuses, l’utilisation d’outils peut augmenter notablement le taux de réussite. Pour ma part, j’utilise depuis très longtemps un balai en forme de T (mes premiers essais eurent lieu en Côte d’Ivoire dès 1972) et je revendique la paternité du détournement d’usage de cet ustensile (Photo 1). Certes, le balai peut sembler insolite à première vue - si j’en juge par la tête des personnes qui m’ont croisé lors de mes sorties de chasse - mais cet outil m’a permis de capturer, au cours de ma carrière, des serpents de taille, de dangerosité et de comportement de défense très différents.



Photo 1 : L’arme fatale. A droite le balai classique, à manche de bois, qu’Alain, traditionnaliste, continue à utiliser. A gauche le balai high-tech, manche métallique, télescopique, le fleuron de l’avancée technologique qu’Hélène et moi avons définitivement adopté. Il permet aussi bien la récupération d’un serpent installé sur un rebord à près de 4 mètres de hauteur que le blocage d’un individu en contrebas du pont, par exemple.  


Pièges


Les serpents, c’est bien connu, aiment se réfugier sous les planches, les pierres ou autres objets. Des pièges de ce type ont donc été disposés aux endroits stratégiques, en particulier aux abords des canaux de la zone 1. Ils ont permis la capture de plusieurs exemplaires dont des petits individus qu’il aurait été difficile de repérer dans ces zones herbeuses.


Recherche nocturne


Elle s’effectue presque exclusivement aux remparts. Elle permet d’observer de nombreux exemplaires de toutes tailles et appartenant aux trois espèces. La nuit, la plupart des serpents se trouvent dans les fentes des murs. Les y voir est une chose, les en extraire sans dommage en est une autre. Au cours de l’étude, les trois principaux collaborateurs ont eu le temps de mettre au point une technique élaborée. Le taux de réussite ne peut être déterminé avec précision mais il a très vite atteint une valeur que nous estimons à près de 90%. Compte tenu de la taille des participants, seules les fentes situées à moins de 2 mètres de hauteur pouvaient être explorées. Mais, comme cela ne suffisait pas, à certaines périodes de l’année (notamment en période de ponte des femelles de Couleuvre vipérine, N. maura) des échelles ont été utilisées la nuit sur la zone sud (du mur 33 au mur 7). Les échelles compensaient notre nanisme face à des murs qui peuvent, à certains endroits, atteindre 8 mètres de hauteur. Ainsi, les fentes étaient observées jusqu’à près de 4 mètres. Cet acharnement explique, en partie, les retours à la maison un peu tardifs.



  Mesures


Longueur du corps


Le corps correspond à la zone comprise entre l'extrémité du museau et le cloaque. Sa mesure est une donnée primordiale utilisée dans de nombreux secteurs de recherche (relations allométriques, indice de condition corporelle, croissance…). Il est donc indispensable de l’obtenir avec un maximum de précision. Nous avons conçu une règle constituée d’une latte en bois concave sur laquelle un ruban millimétré de 150 mm a été collé (Photo 2). Au début du ruban, un butoir permet de placer et maintenir très aisément le museau du serpent au point 0 (Photo 3).


Photo 2 : Axel prépare un jeune individu pour la pesée.

Devant lui, la règle graduée


Photo 3 : Hélène maintien le bout du museau d’une Couleuvre vipérine contre le buttoir de la règle. Elle étirera la région collaire après quoi elle exercera une pression en arrière de cette région afin de protéger le cou (plus fragile). Puis j’étirerai le reste du corps pour prendre la mesure.


Le plus souvent, cette mesure est prise à deux. Un des manipulateurs maintient la partie antérieure du serpent sur la règle (Photo 3), le museau contre le butoir. Il effectue une pression en arrière de la région collaire. Le cou, zone fragile, ne doit pas subir la traction exercée par le second manipulateur. Ce dernier étire le reste du corps tout en accompagnant le mouvement d’élastique que certains spécimens, en particulier de Couleuvre verte et jaune, H. viridiflavus, ne manqueront pas de faire. Avec patience il faut attendre un moment de relâchement du serpent pour accentuer l’étirement et prendre la mesure. Avec un peu d’expérience, une personne seule peut faire l’opération avec la même précision. Afin d’éviter les biais inter-expérimentateurs, seuls Alain et moi avons eu la charge de prendre les tailles. Nous avons réalisé de nombreux tests qui ont démontré la similitude de nos mesures. La présence d’un de nous deux était donc obligatoire à chaque sortie.


Longueur de la queue


Elle permet de déterminer la longueur totale (longueur corps + longueur queue) et intervient dans l’analyse de la relation allométrique entre le corps et la queue. La fréquence d’exemplaires présentant une queue mutilée (Photo 4) peut fournir des renseignements quant à l’impact de la prédation.


Photo 4 : Extrémité de la queue mutilée d’un adulte de Couleuvre verte et jaune

Masse



Nous disposons de quatre pesons (10g, 50g, 300g et 500g). Pour les gros spécimens de Couleuvre verte et jaune, H. viridiflavus, dépassant 500 grammes, l’utilisation simultanée de deux pesons est nécessaire. Ils doivent être placés en parallèle (Photo 5) et non pas en série comme cela nous a été une fois suggéré.





Photo 5 : Pesée d’un exemplaire dépassant les 500 grammes : mise en parallèle de 2 pesons


  Mues


  Occurrence ou non d’une phase de mue


Les serpents en mue sont aisément identifiables par la teinte particulière de leur corps et par l’opacité de leurs yeux (Photo 6).


Nous avons également noté les spécimens ayant mué récemment, repérables par l'aspect irisé de leur peau. Cette dernière donnée demeure néanmoins suggestive.


Photo 6 : une Couleuvre verte et jaune

en mue (œil opaque)


  Reproduction


Photo 7 : Couleuvre vipérine à bandes.

Certains exemplaires présentent des bandes longitudinales sur le corps. Cette variété représente environ 6% de la population. Notons la peau distendue de la partie inférieure du corps de cette femelle pleine.


Statut de reproduction des femelles


Peu de temps avant la ponte, les femelles pleines sont aisément repérables. La distension des écailles de la partie postérieure du corps est manifeste (Photo 7). Le statut de femelle pleine est vérifié, si nécessaire, par palpation. Celle-ci confirme ou non la présence de follicules en vitellogenèse ou d’œufs dans les oviductes. Dans certains cas, le nombre d’œufs peut être évalué. Cependant, il est possible de commettre des erreurs. En effet, il n'est pas toujours aisé de compter, avec précision et sans risque de détérioration, des oeufs parfois serrés les uns contre les autres.


Au cours de la période précédant la ponte, les femelles investissent toute leur matière de réserve pour le bon déve-loppement de leurs oeufs. Après la ponte, elles se retrouvent épuisées et dans un état de maigreur avancé. Les femelles venant de pondre sont donc aisément repérables grâce aux plis que forme leur peau au niveau de la partie postérieure du corps (Photo 8).



Photo 8 : Couleuvre vipérine après la ponte. Notons les plis de la partie

inférieure du corps.



  Alimentation


Présence ou non de proies dans le tractus digestif


La présence de proies ingérées peu de temps avant la capture est parfois directement visible, aussi bien chez les petits individus (Photo 9a) que chez les gros adultes (Photo 9b). Dans les autres cas, une palpation est nécessaire.



Photo 9a : Nouveau-né de Couleuvre verte et jaune et lézard des murailles. Cherchez le lézard


 Certains chercheurs, soucieux de connaître le spectre alimentaire des serpents, font régurgiter les proies. Cette technique permet d’obtenir d’intéressantes données mais elle peut présenter des risques pour l’animal. Comme nous l’avons mentionné auparavant, un de nos principaux objectifs est l’étude de croissance. La régurgitation des proies crée un biais et provoque un stress chez l’animal, stress qui peut perturber cette croissance. Pour cette raison, nous n’avons pas utilisé ce procédé. Cependant, il arrive parfois – et non pas toujours - qu’un individu ayant récemment ingéré une proie la régurgite volontairement au cours de sa capture. Cette régurgitation, non dommageable pour l'animal, permet d’identifier le contenu stomacal.


Photo 9b



  Marquages


  Couleuvre verte et jaune, Hierophis viridiflavus


L’identification des Couleuvres verte et jaune se fait par ablation de la partie distale de certaines écailles ventrales selon un code préétabli (Photos 10 et 11a,b,c,d). Les marques ainsi obtenues sont visibles durant de nombreuses années. Certains exemplaires marqués au stade nouveau-né ont été identifiés avec certitude plusieurs années plus tard (8 ans pour le record). Dans ces cas particuliers, une certaine expérience pour le repérage et la lecture du code peut être nécessaire (Photos 11c et 11d).


Photo 10 : Marquage d'un Nouveau-né







Photo 11a : Couleuvre verte et jaune après le marquage ; Photo 11b : Couleuvre verte et jaune 40 jours après son précédent marquage ; Photo 11c : Couleuvre verte et jaune 6 ans après son précédent marquage ; Photo 11d : Couleuvre verte et jaune également 6 ans après son précédent marquage, la lecture est moins évidente mais les marques, comme pour la photo précédente, sont perceptibles.


Couleuvre vipérine, Natrix maura ; Couleuvre à Collier, Natrix natrix


Le marquage par ablation comme celui effectué sur la Couleuvre verte et jaune est beaucoup moins efficace chez ces espèces. La teinte sombre des écailles ventrales rend difficile, pour ne pas dire impossible, une lecture quelques années plus tard. Pour cette raison, nous avons opté pour la méthode de « l’empreinte » qui consiste à photographier la partie ventrale antérieure (Photos 12a,b et 13a,b). Celle-ci présente sur chaque écaille un dessin de forme particulière. Ce code naturel sert d’identification. Cette méthode simple présente néanmoins des désavantages considérables : l’animal ne peut être identifié à la capture et le temps nécessaire pour l’identification est d’autant plus long que le nombre d’exemplaires ayant été précédemment capturé est grand. Quand plusieurs milliers d’individus sont capturés…


 

Photos 12a et 12b : Vues de la partie ventrale

antérieure de deux exemplaires

de Couleuvre vipérine

Photos 13a et 13b : Vues de la partie ventrale

antérieure de deux exemplaires

de Couleuvre à collier







  Détermination du sexe


Le sexe des exemplaires immatures et adultes de l’ensemble des espèces présentes à Brouage est aisément identifiable par observation de la base de la queue. Celle-ci est nettement renflée chez les mâles (Photo 14).Concernant les nouveau-nés et les juvéniles, un léger massage de l’arrière vers l’avant de la base de la queue est parfois nécessaire. Cette technique permet de faire ressortir les hémipénis des mâles (Photo 15).



Photo 14 : Base de la queue de 2 exemplaires de Couleuvre verte et jaune : en haut une femelle, en bas un mâle avec le renflement indiquant la présence des hémipénis.



Photo 15 : L’hémipénis gauche de ce nouveau-né de Couleuvre verte et jaune est parfaitement visible après un léger massage de l’arrière vers l’avant de la base de la queue.


  Autres données


D'autres données sont également recueillies, notamment :


  • Date et heure de capture

  • Localisation précise de l’animal

  • Activité au moment de la capture

  • Etat de santé